L’école est un champ de bataille
« L’école ne doit pas
être un champ de
bataille ». Telle est la raison
invoquée par Benoît Hamon, Ministre de
l’Éducation nationale, pour justifier
l’arrêt du dispositif des ABCD de
l’égalité, saisi comme objet de haine
par des franges réactionnaires de la
société.
—
L’école est un
champ de bataille.
Le
même
argument est utilisé pour ne plus même poser de
questions sur le dualisme
scolaire et le financement public de l’école
privée, « pour
ne pas relancer une guerre scolaire ».
La guerre scolaire a lieu. Tous les
jours, l’école publique subit la concurrence du
privé, tous les jours des
collègues se battent pour la défendre, tous les
jours l’école est dégradée
par
cette compétition absurde à laquelle elle ne
devrait pas être soumise.
Chaque
jour, dans les écoles, les collèges et les
lycées, des collègues se battent
pour continuer à enseigner les génocides face aux
négationnismes, l’évolution
des espèces et la
démarche scientifique
face aux obscurantismes, la construction sociale des genres face aux
réactionnaires, l’histoire coloniale face aux
nationalismes, les approches
sociales face à l’économisme, la
pensée critique face à
l’idéologie dominante,
la coopération face à la concurrence, la culture
face au marché. L’école est un
champ de bataille.
Chaque
jour des collègues luttent pour éviter ici
qu’une classe ferme, là qu’une
option soit supprimée, ailleurs que des
dédoublements soient annulés. Chaque
jour, des collègues se battent pour accompagner au mieux
tous les élèves dans
des classes surchargées. Chaque jour, des
collègues se mobilisent pour que des
élèves poursuivent leur scolarité et
trouvent une orientation qui leur
convienne au mieux dans une société
marquée par 40 ans de chômage de masse.
Chaque jour des collègues, contre l’institution,
essaient des pédagogies
alternatives pour permettre l’épanouissement et
l’émancipation des élèves.
Chaque jour des collègues subissent la
hiérarchie, résistent, craquent parfois,
face aux logiques managériales que les politiques
libérales imposent à l’école
et à ses personnels, face à de petits chefs qui
jouissent de leur petit pouvoir
pour humilier leurs subordonné-e-s. Trop de nos
collègues mettent fin à leurs
jours à cause de ces conditions de travail
dégradées, tant d’autres en souffrent
en silence. Chaque jour, des collègues s’opposent
à l’emprise toujours plus
grande que le patronat veut exercer sur l’école,
ses méthodes, ses contenus, et
à l’envahissement de toute la vie sociale par les
dynamiques consuméristes.
Chaque jour des collègues s’engagent dabs
l’action pour que tous les élèves,
« même » Rroms ou sans
papiers, puissent terminer leur scolarité –
alors que les forces de police aux ordres du gouvernement les chassent,
traquent, évacuent et expulsent.
L’école est un champ de bataille.
La
suppression du dispositif des ABCD de
l’égalité et de sa
dénomination est une
faute politique – tout comme l’avait
été, déjà,
hélas, la prise de distance
ministérielle avec la notion de genre et son abandon par
l’institution. Ce
geste, ne serait-ce que par sa portée symbolique,
délégitime le projet de
l’égalité et les enseignant-e-s qui en
portent l’exigence. Il donne une fois de
plus le signe que le gouvernement cède à
l’agitation des réactionnaires. Il
encourage ainsi leur mobilisation. Il est illusoire de penser que cette
reculade calmera les adversaires de
l’égalité et de
l’école publique. Ils ne
désarmeront pas. Ils sortent renforcés de chaque
renoncement. Chaque concession
à la réaction est une défaite
idéologique qui laisse de profondes traces.
Avec
cette nouvelle démission le ministère expose
encore davantage à la haine tous
les garçons manqués et toutes les femmelettes,
tous les pédés et tous les
enculés, toutes les gouines et toutes les salopes, tou-te-s
les travelos et
tou-te-s les trans, tous les mecs qui aiment des mecs, toutes les nanas
qui
aiment des nanas, tous les mecs et toutes les nanas qui aiment des mecs
et des nanas, toutes les
camionneuses et
tous les danseurs, tous les garçons qui jouent à
la poupée et toutes les filles
qui aiment les voitures, toutes celles et tous ceux qui n’ont
pas droit à
l’existence dans ce système normé et
hiérarchisé de partition binaire du
masculin et du féminin.
Il
n’y a
pas de pacification possible ; et elle n’est pas
souhaitable. L’école
étant un espace de socialisation et de formation des
consciences, elle est
nécessairement l’objet d’un conflit
politique permanent, entre celles et ceux
qui défendent telle ou telle dimension de l’ordre
des choses tel qu’il est, et
donc une école de la reproduction des hiérarchies
(sociales et/ou racistes
et/ou hétéro-sexistes et patriarcales), et celles
et ceux qui se battent –
contre vents mauvais et marées noires – pour une
autre école dans une autre
société : une école publique,
pour tou-te-s, gratuite, laïque, égalitaire
et émancipatrice.
L’école
est un champ de bataille.
Chaque
jour, comme professionnel-le-s, comme syndicalistes, nous sommes sur ce
champ
de bataille. En première ligne.